Diminuer les voyages d’affaires ? Un tabou encore largement répandu en France, comme le révèle l’édition 2023 [1] du classement « Travel Smart », publié ce mercredi. Sur 35 grandes entreprises de l’Hexagone, seulement 9 ont des objectifs clairs de réduction des émissions de CO2 liées aux voyages professionnels [2].
Le Crédit Agricole est le seul à obtenir la note maximale (A), grâce à ses objectifs de réduction à court terme. De gros émetteurs comme Bouygues, Saint-Gobain, l’Oréal sont mal notés (C) car ils n’ont pas d’objectifs spécifiques sur les voyages d’affaires. Enfin, Michelin, Engie et Danone reçoivent la plus mauvaise note (D), notamment parce qu’ils ne publient pas chaque année le total de leurs émissions liées aux voyages professionnels.
Les effets « non CO2 » largement ignorés
Si certaines sociétés françaises s’en sortent mieux que d’autres, aucune n’a de cible spécifique pour diminuer les trajets effectués en avion, alors même qu’il faut rapidement réduire les émissions du secteur aérien. En plus de ne pas avoir d’objectifs de réduction, les entreprises françaises n’évaluent pas correctement l’impact de leurs voyages d’affaires en avion.
En effet, lors des vols, les moteurs des appareils émettent de nombreux gaz en plus du CO2 comme les oxydes d’azote, le dioxyde de soufre, ainsi que des particules (suie). Ces émissions, dites « non-CO2 » représentent environ deux tiers de l’impact climatique total de l’avion. Pourtant, une seule entreprise française du classement (Faurecia, classée C) les prend en compte.
Réduire les émissions liées aux voyages d’affaires de 50% d’ici 2030
Denise Auclair, responsable de la campagne Travel Smart pour Transport & Environment (T&E), explique : « Les entreprises ferment les yeux sur les conséquences néfastes des voyages d’affaires en avion. La plupart d’entre elles prennent peu ou pas de mesures concernant les vols d’affaires, ce qui rend tout autre objectif de déplacement insignifiant dans le contexte de la lutte contre le changement climatique. En Europe, seules quelques sociétés s’alignent sur la science en déclarant les émissions autres que le CO2 – la partie cachée de l’iceberg de l’impact total de l’aviation sur le climat ».
L’étude montre que si 10 % des entreprises – les plus grosses émettrices du classement – se fixaient des objectifs de réduction des émissions des voyages d’affaires de 50 %, elles feraient la moitié du chemin pour atteindre l’objectif mondial (- 50 %) de baisse des émissions du transport aérien d’affaires d’ici à 2025. En France, le plus gros émetteur est Bouygues (260.000 tonnes de CO2 liées aux voyages en avion [3]). Réduire les émissions de l’aviation est aujourd’hui plus crucial que jamais, si nous voulons limiter le réchauffement climatique à 1,5°C.
Développer les alternatives à l’avion
D’ici à 2030, le meilleur moyen de réduire les émissions de l’aviation est donc de moins voler, car la production à l’échelle industrielle des carburants durables et des avions à émissions nulles n’interviendra qu’après cette date. Par ailleurs, les pratiques de « compensation » ne remplaceront jamais la réduction des émissions.
La campagne Travel Smart invite les entreprises à se fixer des objectifs ambitieux pour réduire les émissions liées aux voyages d’affaires, à remplacer l’avion par le train lorsque cela est possible et à privilégier les outils de travail à distance pour remplacer les vols long-courriers.
Denise Auclair conclut : « Les plus grands émetteurs ont un rôle énorme à jouer dans la réduction de leurs émissions liées aux voyages d’affaires. Les moyens d’y parvenir sont plus accessibles que jamais : le train lorsque les distances le permettent et la vidéoconférence pour éviter les vols long-courriers. »
Notes aux éditeurs
[1] Transport & Environment, en lien avec une coalition de partenaires mondiaux, a lancé la campagne Travel Smart en 2022 avec l’édition annuelle d’un classement des entreprises sur les voyages d’affaires. La campagne s’adresse aux entreprises, l’objectif étant qu’elles réduisent leurs émissions liées aux voyages d’affaires de 50 % ou plus par rapport aux niveaux d’avant la crise, d’ici 2025 ou plus tôt.
Le Travel Smart Ranking inclut 322 entreprises américaines, européennes et indiennes en fonction de 10 indicateurs relatifs aux émissions des voyages aériens, aux objectifs de réduction et aux rapports des entreprises. Les grands voyageurs des 17 pays du classement représentent une part importante des voyages d’affaires dans le monde. L’analyse met en lumière les efforts importants que certaines entreprises mondiales doivent encore consentir pour réduire leurs émissions liées aux voyages d’affaires. Les entreprises reçoivent une note de A, B, C ou D. Sur le classement total, 11 entreprises (dont Crédit Agricole) sur 322 obtiennent un A, 38 entreprises obtiennent un B, 212 entreprises un C et 61 sont notées D.
Les entreprises qui figurent dans le classement ont été sélectionnées sur plusieurs critères: capitalisation boursière, nombre d’employés, présence dans le top 100 des entreprises utilisant le plus l’avion, émissions mesurées par le Carbon Disclosure Project (CDP), présence dans le SBTi (index d’entreprises engagées pour réduire leurs émissions). La méthodologie complète est présentée dans le rapport.
[2] Liste complète: Crédit Agricole, Servier, Cap Gemini, AXA, Sopra Steria, Dassault Systèmes, SPIE, Amundi et Publicis.
[3] Emissions de 2019. Les années 2020 et 2021 sont considérées comme non représentatives en raison des restrictions de déplacement liées au Covid 19.