Deux entreprises françaises sont épinglées dans la dernière édition du classement « Travel Smart », qui évalue les efforts et les engagements des multinationales concernant la réduction de leurs voyages d’affaires en avion. Dans le détail, Bouygues et Saint-Gobain sont considérées comme des mauvais élèves en raison de deux critères : 1) elles affichent des émissions de CO2 élevées en raison des déplacements aériens de leurs employés [1] ; 2) elles n’ont pas d’objectif crédible et précis de réduction de ces émissions.
Au total, 25 multinationales présentes dans le classement Travel Smart combinent ces deux problèmes. Cette petite minorité (7% des 328 entreprises évaluées) représente à elle seule 36% de l’ensemble des émissions liées aux voyages d’affaires des sociétés répertoriées dans le classement. Si ces retardataires réduisaient leurs émissions de moitié d’ici 2025 (par rapport au niveau de 2019), ils permettraient d’éviter 5,9 millions de tonnes de CO2, soit l’équivalent des émissions rejetées par 3 millions de voitures pendant un an.
Le risque d’un retour “à la normale”
L’analyse dévoile un contraste frappant entre les entreprises d’un même secteur. Pendant que certaines se fixent des objectifs ambitieux, d’autres sont à la traîne et refusent de le faire, année après année. Dans le secteur du conseil, KPMG et Accenture, sans objectifs de réduction, font pâle figure à côté de leurs homologues EY, PwC et Deloitte qui sont eux engagés dans un processus de diminution des émissions liées aux voyages d’affaires.
Les entreprises peu ou pas engagées sur ce thème risquent de retrouver rapidement les niveaux de voyages d’affaires pré-COVID. Notre outil de suivi en ligne montre que les entreprises qui ne se fixent pas d’objectifs, comme Johnson & Johnson ou Merck, sont déjà revenues à des niveaux d’émissions proches de ceux de 2019, avec seulement -28 % et -17 % respectivement en 2022 (alors que la moyenne est de – 48%) [2]. De son côté, le géant français Sanofi ne s’est pas non plus fixé d’objectifs spécifiques. A l’inverse, Pfizer affiche des émissions liées aux voyages d’affaires en baisse de 78% en 2022, avec une cible précise de réduction.
Siemens, Volkswagen, et Google figurent parmi les autres grands voyageurs du classement qui n’ont pas de plans crédibles pour réduire les émissions liées à leurs déplacements. Ces entreprises mondiales se considèrent comme progressistes et pionnières, mais ne s’attaquent pas aux émissions liées au transport aérien. Ainsi, l’ensemble des vols de Siemens réalisés en 2019 représentent l’équivalent de 2 aller-retour Paris-New York réalisés chaque jour, pendant un an. Pour mettre en évidence les plus fautifs, la campagne Travel Smart a donc créé de fausses compagnies aériennes, telles que Siemens Airlines ou IBM Business Airlines, afin d’attirer l’attention sur leur forte responsabilité en matière de réduction des vols d’affaires.
« Les grandes entreprises ont une responsabilité écrasante dans la réduction du trafic aérien. Elles doivent se fixer des objectifs de toute urgence, sous peine d’être distancées par leurs concurrents. Il n’y a pas d’excuses pour ne pas agir, car certaines réussissent très bien ! Notre étude montre qu’il existe une différence entre les entreprises qui s’engagent en faveur du climat et celles qui, au mieux, se contentent de vagues déclarations », explique Jérôme du Boucher, responsable aviation à Transport & Environnement France.
Des entreprises ne sont pas en phase avec leurs propres engagements
Sur les 328 entreprises évaluées dans le cadre du classement, seules 57 se sont fixées des objectifs de réduction des émissions liées aux déplacements professionnels. 44 entreprises déclarent l’impact climatique complet de leurs déplacements (ce qui inclut les émissions autres que le CO2) – contre 40 l’année dernière. De nombreuses entreprises déclarent publiquement qu’elles vont réduire leurs émissions conformément à l’Accord de Paris. Pourtant, seules sept entreprises supplémentaires ont adopté des objectifs depuis l’année dernière. C’est le signe inquiétant qu’une majorité d’entreprises n’agissent pas assez vite ou ne font pas preuve d’un véritable engagement pour réduire les émissions liées au transport aérien.
A l’inverse, 16 entreprises sont classées A, la meilleure catégorie, par Travel Smart, soit cinq de plus qu’en 2023. Parmi elles figurent Pfizer, AstraZeneca et l’éditeur de logiciels Oracle. Cela montre que les entreprises peuvent opérer de vrais changements et se fixer des objectifs ambitieux en adoptant de nouvelles méthodes de travail, en remplaçant les voyages en avion par des modes de transport alternatifs comme le train ou en recourant davantage à la collaboration virtuelle.
« Alors que le Covid a poussé le monde de l’entreprise à se connecter et à travailler en réduisant le nombre de vols, de nombreuses sociétés tardent à diminuer l’empreinte climatique de leurs vols d’affaires. Nous ne pouvons plus nous permettre des promesses vides de la part des chefs d’entreprise. Il faut davantage d’actions et d’engagements contraignants pour maintenir les vols d’affaires à un niveau plus bas » explique Loïc Bonifacio, membre de Pour un Réveil écologique.
Notes aux éditeurs
[1] Les 25 entreprises mentionnées sont les plus “grandes voyageuses” en 2019 parmi les 328 entreprises sélectionnées dans le classement Travel Smart (liste complète ici). Elles sont responsables de 36 % des émissions des entreprises du classement.
Les émissions de 2019 ont été retenues car elles sont plus représentatives des voyages aériens des entreprises hors période de Covid. Les entreprises doivent prendre 2019 comme point de référence pour leurs objectifs de baisse des émissions. Concernant l’absence de politique spécifique de réduction, les données ont été arrêtées au 31 décembre 2023.
[2] La campagne Travel Smart demande aux entreprises de se fixer des objectifs de réduction des émissions liées aux voyages d’affaires d’au moins 50 %, d’ici à 2025 ou plus tôt. Cet objectif a été fixé sur la base de l’analyse rigoureuse de la feuille de route de Transport & Environment pour une aviation climatiquement neutre, qui montre qu’une réduction de 50 % de l’ensemble des voyages d’affaires est nécessaire au cours de cette décennie, afin de maintenir l’aviation dans une trajectoire compatible avec une augmentation de 1,5°C.
Le classement Travel Smart répertorie 328 entreprises américaines, européennes et indiennes en fonction de 11 indicateurs relatifs aux émissions des transports aériens, aux objectifs de réduction et à la communication d’informations. Les entreprises se voient attribuer une note A, B, C ou D. Dans l’édition de cette année, 16 entreprises ont obtenu la note A, 40 la note B, l’écrasante majorité la note C (230) et 42 la note D. Il s’agit de la troisième édition du classement.
Ce classement porte uniquement sur les vols effectués par les entreprises. Pour qu’une entreprise soit considérée comme un vrai leader de la transition, son modèle économique global doit évidemment être pris en compte.